Aujourd’hui, j’ai vu (et senti) la rivière la plus pollué de ma vie. Je me suis retrouvé sur une petite plateforme en bois improvisée, en me protégeant le nez, à regarder des restes de peau de vache, des morceaux de queues, de l’eau mousseuse et noire de produits de teinture, des femmes faisant bouillir des abats de viande et des hommes qui portent des kilos de cuire sur la tête
Solidarité Mondiale tente également de faire comprendre les
réalités de nos partenaires et des travailleurs ici dans le nord, en Belgique.
Ainsi, j’accompagne actuellement une équipe de tournage pour la
RTBF Questions àla Une, qui réalise un documentaire sur l’industrie de textile au Bangladesh,
et particulièrement sur les produits chimiques utilisés.
D’abord, on a visité une tannerie, un endroit tout droit sorti du Moyen Age, sombre, puant, avec des travailleurs pied nus et sans protection qui font tourner des énormes tonneaux pour teindre les peaux de moutons ou de vaches. Les journalistes ne se sont pas gênés de filmer tout cela ouvertement. Tous les bâtiments dans le voisinage présentent des scènes similaires. Chaque jour, entre 15.000 et 20.000 travailleurs se rendent dans ce quartier pour y travailler dans une centaine de tanneries. Nous avons réalisé un petit entretien avec un manager, qui nous a dit fièrement d’exporter vers l’Italie, où son cuir est utilisé lors de la fabrication de voitures Audi.
Puis, on s’est baladé dans les ruelles, où le sol est recouvert d’une boue faite de teinture et de produits, avec des porteurs qui font des va-et-vient en balançant sur leurs épaules des produits chimiques dans deux sceaux attachés aux extrémités d’un bâton. Un monsieur bien habillé s’est arrêté pour exiger qu’on parte filmer ailleurs, car nous donnons une mauvaise image au pays. On est reparti en voiture pour continuer notre découverte deux rues plus loin.
Les journalistes sont rentrés chez un fournisseur de produits chimiques pour filmer des étiquettes et demander s’ils vendent ou utilisent certains produits spécifiques, qui sont particulièrement cancérigène ou nocif. Difficile de savoir s’ils répondent par la vérité ou pas, mais rien dans cet endroit est très rassurant.
Dans notre quête pour interviewer des travailleurs, on s’est aussi arrêté à un syndicat, the Tannery Workers Union, où nous avons rencontré un responsable qui était très retissant à nous parler et a refusé de faciliter des interviews, même s’il affirme qu’un travailleur venait de décéder d’un cancer la semaine passée et un autre était sur son lit de mort. Quand on demande la raison, il explique que si l’image donnée à l’étranger est mauvaise, les clients partent et les travailleurs perdent leur emploi. Il se plaint pourtant que le gouvernement compense les employeurs pour la délocalisation prévue, mais que rien n’est offert ou prévu pour les travailleurs. Il n’y aura pas de logement, ou aide pour le transport pour les travailleurs du quartier etc.
Ensuite, on est allé voir la rivière qui traverse le quartier, noire et mousseuse, à mi-chemin entre pétrole et shampooing (parfum pourriture). Les journalistes ont filmé quelques images, puis, en profitant de l’attroupement que notre équipe et la caméra cause sans faute, ils ont réalisé quelques entretiens des habitants, qui se plaignent de problèmes respiratoires, de peau etc. Un travailleur des tanneries a aussi expliqué que deux jours avant, un jeune de 18 ans a eu la tête explosée par un des tonneaux. L’employeur a versé 20.000 Taka (environ 200€ ou l’équivalent d’environ trois mois de salaires) à la famille comme compensation. Plus bas, on a rencontré les gens qui récupèrent les restes des peaux et de chair, et qui en font du savon ou de la bouffe pour des poisons ou des poulets. Bref, j’ai vu pleines de choses dans ma vie, mais rarement un endroit aussi répugnant que celle-là. Je ne peux pas m’imaginer ce que cela donne en été ou en pleine mousson, avec la chaleur, les mouches, l’odeur…
Read more about the tanneries in this Human Rights Watch report
here.